d)Mao-Tsé-Toung
" La cause fondamentale
du développement des choses et des phénomènes
nest pas externe, mais interne; elle se trouve dans les
contradictions internes des choses et des phénomènes
eux-mêmes. Toute chose, tout phénomène implique
ces contradictions doù procèdent son mouvement
et son développement. Ces contradictions, inhérentes
aux choses et aux phénomènes, sont la cause fondamentale
de leur développement, alors que leur liaison mutuelle
et leur action réciproque nen constituent que les
causes secondes ".
Cette citation de Mao résume
très bien la dialectique au sens marxiste, avec la contradiction
interne à toute chose. Mao-Tsé-Toung a contribué
par quelques textes fondamentaux à la compréhension
de la dialectique.
Il sest ainsi intéressé
à la théorie de la connaissance, à la notion
de contradiction ainsi quà la pratique sociale et
révolutionnaire. Cest cette dernière notion
qui est centrale; chez Mao, il y a en effet primat de la pratique.
La pratique sociale " est
le lieu où se fait la transformation de laction
en pensée, de la pensée en action, cest-à-dire
de la pratique à la théorie, de la théorie
à la pratique et à nouveau des unes aux autres ".
Mao défend de fait ce quon
appellera le principe de lenquête, ou encore la ligne
de masse. Il faut partir de la réalité pour en
avoir une vue globale, puis modifier la réalité
elle-même. Les révolutionnaires doivent ainsi apprendre
des masses pour apprendre aux masses. Une telle méthode
de pratique sociale ne se comprend quen liaison avec le
principe de la dialectique historique traversant toutes les sphères
sociales.
Dans " de la pratique "
Mao rappelle ainsi que " quiconque veut connaître
un phénomène ne peut y arriver sans se mettre en
contact avec lui, cest-à-dire sans vivre (se livrer
à la pratique) dans le milieu même de ce phénomène
(...). Si lon veut acquérir des connaissances, il
faut prendre part à la pratique qui transforme la réalité.
Si lon veut connaître le goût dune poire,
il faut la transformer: en la goûtant (...). Si lon
veut connaître la théorie et les méthodes
de la révolution, il faut prendre part à la révolution ".
De fait Mao a accepté les
postulats du marxisme-léninisme, et en explique certains
aspects concrets. Ainsi, il a développé le fait
quil est nécessaire daffiner lanalyse
des différentes contradictions existantes: " si
un processus comporte plusieurs contradictions, il y en a nécessairement
une qui est la principale et qui joue le rôle dirigeant,
déterminant, alors que les autres noccupent quune
position secondaire, subordonnée. Par conséquent,
dans létude de tout processus complexe où
il existe deux contradictions ou davantage, nous devons nous
efforcer de trouver la contradiction principale ".
Néanmoins, il faut faire
attention, car si trouver la contradiction principale permet
de résoudre lensemble des contradictions, cest
justement parce que " cette situation nest pas
statique; laspect principal et laspect secondaire
de la contradiction se convertissent lun en lautre
et le caractère des phénomènes change en
conséquence ".
Les révolutionnaires ne
doivent donc pas seulement connaître la dialectique et
savoir linterpréter correctement dans le concret;
il y a également nécessité de savoir quelles
contradictions sont antagoniques. Ainsi, " lhistoire
du Parti Communiste de lURSS nous montre que les contradictions
entre les conceptions justes de Lénine et de Staline et
les conceptions erronées de Trotsky, Boukharine et autres
ne se sont pas manifestées dabord sous une forme
antagoniste, mais que, par la suite, elles sont devenues antagonistes ".
Comme le dit Lénine: " antagonisme
et contradiction ne sont pas du tout une seule et même
chose. Sous le socialisme, le premier disparaîtra, la seconde
subsistera ".
Nietzsche
et
lirrationalisme fasciste
Ou :
comment Lukacs critique fort justement Nietzsche dans " la
destruction de la raison ".
" Toute élévation
du type humain a toujours été et sera toujours
luvre dune société aristocratique,
dune société qui croit à de multiples
échelons de hiérarchie et de valeurs entre les
hommes et qui, sous une forme ou une autre, requiert lesclavage "
(Nietzsche).
Lukacs sintéresse
à lirrationalisme comme forme de pensée apparue
au niveau international dans ce quil dénomme la
" période impérialiste ". Cette
" période impérialiste " est
la période, selon le schéma marxiste-léniniste,
qui suit le " simple " capitalisme et est
caractérisée par les développements des
monopoles et la prédominance du capital financier sur
le capital industriel.
Evidemment, tout idéalisme
est caractérisé par des traits irrationnels; Lukacs
le sait bien mais, ce qui lintéresse, cest
la tournure spécifique prise par lidéalisme,
celle qui suit la période de 1848 où, comme le
dit Marx, " les capacités de la bourgeoisie
sen vont ", où la bourgeoisie devient
impérialiste après avoir été libérale.
Car pour lui, " la retraite
du Hitler sans niveau aux Spengler, Heidegger ou
Nietzsche pleins de valeur est, autant philosophiquement
que politiquement, une retraite stratégique ",
dans la perspective de réorganiser les rangs de la réaction
en vue dune prochaine offensive.
1.Les
particularités de lAllemagne capitaliste
Lukacs constate fort justement
que la tragédie du destin du peuple allemand consiste
en ce que le " développement moderne-bourgeois "
lui soit venu trop tardivement. Ce retard a pris une tournure
négative (cela nétait pas forcément
le cas, ainsi ce type de retard a aidé le communisme pour
la Russie), et les forces féodales ont été
prédominantes, notamment après lécrasement
des mouvements paysans du 16ème siècle. Ces forces
féodales se sont modernisés, adaptés mais
en bloquant les éléments progressistes quamenaient
les bourgeoisies des autres pays avancés (France, Hollande,
Angleterre). LAllemagne resta longtemps un pays morcelé
en petites régions tombant sous linfluence des autres
pays; de la même manière que lItalie lAllemagne
narrivait pas à former son unité nationale.
La dimension des régions ne permettait pas la formation
dune grande bourgeoisie et de son intelligentsia libérale;
les sujets dépendaient étroitement des monarques
et de leurs bureaucraties; lhorizon et la capacité
critique étaient bornés. A cela sajoute le
rôle de la religion avec Luther, la soumission subjective
des masses. De tous ces éléments Lukacs constate
qu" il sest formé par cela chez
eux [bourgeoisie et petite-bourgeoisie] un servilisme, une petitesse,
une bassesse et une misérabilité comme on ne peut
sinon quasiment pas trouver dans lEurope dalors ".
De plus, à cause du manque
de développements économiques, les régions
se développant indépendamment, il ne se forme pas
de masses plébéiennes jouant un rôle fondamental
dans les révolutions, comme en 1789 par exemple.
Ce nest quau 18ème
siècle, particulièrement dans la seconde moitié,
que lAllemagne commence à rattraper ses retards
dans le domaine économique. Laristocratie et la
bourgeoisie forment les bureaucraties des Etats modernes, puisque
lembourgeoisement est perçu comme nécessité
du développement économique: la bureaucratisation
et la présence de laristocratie dans lEtat
sont les prix payé par une bourgeoisie nayant pas
mené de révolution.
Cette présence de laristocratie
explique pourquoi cest la Prusse qui a poussé à
lunité de lAllemagne (dans son intérêt
économique) et pris en main le développement du
capitalisme.
Cest le paradoxe de lépoque:
lunité nationale passerait-elle par la bourgeoisie
nationale contre la Prusse ou sous leffort de la Prusse
dans son intérêt? La bourgeoisie préféra
le compromis afin dobtenir les avantages économiques
du développement en évitant une révolution
(et le risque de développement à la française),
quitte à abandonner lexigence dhégémonie
politique sur lEtat et son appareil.
Si lon comprend ces éléments
et quon y ajoute le fait que la Prusse ait été
aidé par les conquêtes napoléoniennes, on
comprend que le patriotisme national bourgeois ait été
ici dévoyé en chauvinisme brutal (notamment contre
la France et la Pologne).
De plus, la bourgeoisie, la petite-bourgeoisie,
les masses plébéiennes et le prolétariat
navaient pas vécus dexpériences politiques
à cause des espaces politiques auparavant extrêmement
réduits: ces classes débarquent pour ainsi dire
dans un Etat national où laristocratie étatisée
a toutes les cartes en main. A cela sajoute le fait que
le mouvement politique démocratique était loin
de Berlin, confiné au Sud, ou mis à lécart
comme la région du Rhin (le régime napoléonien
ayant ici écrasé les restes féodaux). LAllemagne
avec Berlin et lAutriche avec Vienne étaient deux
Etats réactionnaires écrasant les forces démocraties
divisées géographiquement et politiquement. Lénine
prendra comme exemple international ce développement " prussien ",
défavorable à la bourgeoisie.
En fin de compte, lEtat allemand
de Bismarck ressemble à lEtat français de
Napoléon; la France reprendra un cours bourgeois progressif
(définitivement avec 1871), mais lAllemagne vivra
tout den haut. LEtat na pas été
formé par lexpérience des masses, la culture
de soumission fait loi.
2.Formation
de lirrationalisme entre 1789 et 1848:
Schelling,
Schopenhauer, Kierkegaard
1789 et 1848 sont deux dates de
révolution. Cette période marque la formation,
dans le développement du capitalisme, de lirrationalisme
moderne. Lirrationalisme suit la révolution française
qui a ébranlé lEurope, et la bourgeoisie
ne peut, avec les contradictions de classe se développant,
plus accepter le rationalisme. Comme Engels le constate au 19ème:
" Nous savons maintenant que le royaume de la raison
na pas été plus que le royaume idéalisé
de la bourgeoisie ".
Lirrationalisme consiste
en une attaque fondamentale contre la dialectique historique
comme centralité de la philosophie, et sexprime
sous la forme de la philosophie de la nature. Il est évidemment
vital, contre le rationalisme, de chercher dans le passé
(lAntiquité, lOrient, le Moyen-Âge...)
un irrationalisme auquel il faut se lier. Le philosophe Schelling
traite ainsi dans sa jeunesse la philosophie comme une " odyssée
de lesprit " où celui-ci gagne au fur
et à mesure sa réalité. Il dépasse
la perspective de Kant tout en en partant, et voit dans lart
le reflet de la réalité objective du monde des
choses en soi. Le parallèle avec Fichte est évident,
puisque pour celui-ci le bel esprit possède déjà
ce que le philosophe recherche péniblement. Le jeune Schelling
va plus loin que son collègue Fichte, en affirmant que
cest la vision esthétique qui permet dappréhender
lessence de la philosophie, consistant en le principe de
lIdentique (ni objectif, ni subjectif). Lidentification
de lesthétique et de lintellectuel est un
élan vers laristocratisme, que lon retrouvera
de manière extrapolée chez Nietzsche.
Plus tard, Schelling se fera critiquer
par son élève Eschenmayer pour lambivalence
de sa philosophie, qui aboutit à une non-philosophie puisque
la vision tend vers une réalité existant déjà
au-delà. Cest la généralisation de
lidéalisme, la capitulation sans condition de la
raison devant la religion.
Le vieux Schelling défendra
contre cette polémique ses anciennes positions, mais en
leur donnant un contour non plus simplement idéaliste,
mais réactionnaire. De fait, Schelling transformera la
perspective esthétique en perspective religieuse, tout
en maintenant lidée dune vision, dune
approche de la connaissance vers la réalité. La
réalité ultime nest ici compréhensible
que si lon voit " que tout le monde absolu avec
tous ses niveaux des êtres se réduit à labsolue
unité de Dieu ".
La chose en soi est transformé
en réalité simple quon aborde par la vision:
le monde est dual; le passage de labsolu au réel
nest possible que par un saut mystique. Le monde des sens
nest ici plus crée par Dieu, il " tombe "
de lui, comme un déchet, un reste.
Cette dualité était
bien présente chez Schelling dès le départ,
ainsi jeune déjà il voyait dans lhumanité
une dualité préfigurant la Nouvelle Droite contemporaine:
les différences entre les peuples sont dans leurs " essences ",
elles sont irréductibles, etc. Schelling, qui appréciera
la traite des NoirEs, retrouvera la dualité dans lopposition
dominant/dominé et aura ainsi une perspective étatique-politique
réactionnaire.
Pourquoi est-ce que Lukacs place
Schelling avant Schopenhauer dans léchelle de lirrationalisme,
alors que Schopenhauer est historiquement antérieur? Parce
que Schopenhauer va plus loin dans lirrationalisme, et
que sa philosophie écrite avant celle de Schelling
revient en force après lui.
Nous avions parlé de lEtat
de Bismarck comme dun Etat bonapartiste, où les
classes sont toutes liées contre le prolétariat:
cest à ce moment là que Schopenhauer devient
la philosophe de la bourgeoisie. Les années suivant 1848
sont marquées par un renforcement de la réaction
(Napoléon III en France, Victoria en Angleterre...) et
sa relative unification idéologique en Europe. La philosophie
allemande se place en tête de cette " réflexion ",
avec Schopenhauer, qui va bien plus loin que les pitoyables penseurs
français de la Restauration (de Maistre par exemple).
En effet, Schopenhauer anticipe la forme moderne dapologie
du capitalisme: la forme indirecte. Lukacs nous explique
que cette forme moderne consiste à partir de la reconnaissance
de lexistence de contradictions de classe (au lieu de les
nier), pour donner aux faits une apparence et une tournure qui
soient avantageuses pour la bourgeoisie. La philosophie de la
nature critique le capitalisme mais considère que le fond
du problème, cest lêtre humain lui-même:
cest le fil brun qui va de Schopenhauer à Nietzsche.
Mais Schopenhauer ne vit pas dans
la même période historique que Nietzsche, il ne
doit pas, comme ce dernier, appeler à la mobilisation
pour le système. Il sagit de montrer la futilité
de laction politique, son non-sens, doù la
philosophie du pessimisme. Cette philosophie dévalorise
lhistoire et la société, brise toute prétention
à connaître la réalité. " Il
est évident que le pessimisme schopenhauerien soit un
réflexe idéologique de la période de la
restauration " (Lukacs).
En effet, Schopenhauer fait de
légoïsme une loi universelle, et prétend
lutter contre lui, mais en fait laccentue idéologiquement
puisquil faut pour lui partir dun repli sur soi!
Cest la défense de la morale individuelle contre
la lutte collective, lattaque contre les exigences sociales,
au profit de la sentimentalité. La philosophie de Schopenhauer
est celle du bourgeois fasciste qui aime bien son chien; cest
la morale qui libère de toute obligation. Cest lécole
de la passivité. Schopenhauer se moque dailleurs
des régimes politiques en place, sa philosophie est quasiment
celle de l" extinction " en Inde par
le brahmanisme, et son panthéisme apparent est une religion
athée.
Dans la continuité des deux
auteurs littéralement " exécutés "
par Lukacs, il y a Kierkegaard. Celui-ci aura son heure de gloire
dans lentre-deux guerres, même si il sera connu bien
plus tôt en Scandinavie.
Kierkegaard nest pas dans
le contexte de Schopenhauer, qui pouvait attaquer de front Hegel
au nom dun Kant purifié à la Berkeley.
Il fallait quil le transforme, doù la notion
de " dialectique qualitative ". Kierkegaard
nie la loi suivante de la dialectique: la loi de lunité
de lévolution et de la révolution, du quantitatif
et du qualitatif, selon laquelle le développement ne se
fait pas sur le plan quantitatif, mais progresse par bonds révolutionnaires
(=saut dialectique), avec unité du processus dévolution
et de révolution. Kierkegaard ramène le concept
de dialectique à celui de lAntiquité,
transforme la logique dialectique en logique formelle, dépendant
dun fatalisme ayant remplacé lactivité
pratique. Pour Kierkegaard le devenir du monde dépend
de la volonté de Dieu, la destinée de lhumanité
sert ses desseins. Il ny a plus dhistoire, car seul
Dieu en connaît les tenants et aboutissements.
Une telle conception, qui affirme
labsence de sens de la vie, aurait pu aboutir, en étant
renversé, à un athéisme, mais Kierkegaard
" sauve " la religion en affirmant quil
est nécessaire de se " replier sur soi ",
sur sa propre intériorité. Cela nest évidemment
valable que pour les hommes, pas pour les femmes qui nen
sont pas capables.
Laspect fondamental de lirrationalisme
quil faut bien comprendre consiste en ce fait que, chassé
par la science et la rationalité (la raison) de la plupart
des domaines danalyses objectifs (la science), celui-ci
opère des retraits stratégiques sur lintériorité,
la subjectivité, la métaphysique, etc. cest-à-dire
des domaines soi-disant inaccessibles à la science. Lobjectif
de Kierkegaard est ainsi de nier lhistoire comme domaine
objectif quil est possible détudier.
On peut se douter que ce concept
de religion comme retour à lintériorité
(primitive) fait la part belle au côté esthétique,
et que cela est prétexte à laristocratisme.
Kierkegaard termine sa carrière en prônant un retour
à la chritstianité pure.
Lukacs constate fort justement
que des philosophes à la base progressistes dévient
et amènent leur athéisme vers une forme religieuse,
par peur des conséquences fondamentales de leurs positions
(le marxisme), de par leur statut délément
de la classe bourgeoise qui abandonne au fur et à mesure
du développement du prolétariat toute position
rationaliste.
3.Nietzsche
comme fondateur de la forme irrationnelle
de
lépoque du fascisme et de limpérialisme
" Le problème
- dans quelle direction? Cela nécessite un nouveau terrorisme ".
La révolution de 1848 est
la date charnière pour la pensée bourgeoise; à
partir de là elle namène plus rien de positif.
La pensée économique de Ricardo et celle philosophique
de Hegel se sont éteintes respectivement dans les années
20 et 30/40, cédant la place à la pensée
reliée à lexistence du prolétariat.
Mais les années 1870/1871
sont également des années de coupure. En effet,
les Etats-Nations sont formés en Europe de lOuest
et centrale (malgré quelques " défauts "
en Allemagne, en Italie sans oublier lAutriche-Hongrie),
et si révolution il y a elle est désormais prolétarienne;
la Commune de Paris est la marque dune nouvelle époque.
Mais parlons de Nietzsche. Comment
se fait-il quil considère cet auteur comme un théoricien
de la lutte contre le socialisme de Marx et Engels, alors que
comme il le dit lui-même il na certainement jamais
lu de littérature marxiste? Déjà, parce
que toute production intellectuelle est reliée aux luttes
de classe de son époque. Nietzsche vit dans une période
tumultueuse: la formation du Reich allemand, le remplacement
de Bismarck par Guillaume II et sa politique ouvertement impérialiste,
la formation du grand parti ouvrier et son interdiction, la lutte
victorieuse des socialistes contre leur interdiction et bien
sûr la Commune de Paris.
Nietzsche parle du socialisme dans
ses uvres, et lattaque violemment. Il ne le connaît
pas théoriquement, mais le combat dans ses effets (associations
douvriers, luttes des masses, etc....). Il nest donc
pas dans le bon camp, au contraire dautres; si Nietzsche
na pas soutenu la Commune, loin de là, " nous
savons le prix de ce qui conduit Villiers de lIsle-Adam
et Rimbaud, foncièrement apolitiques, à être
du côté de la Commune ". Cest une
aberration que de mettre Nietzsche sur un plan poétique
de libération. Sa critique sociale nest pas positive.
Car à partir de 1871, ou
plus exactement à partir de Nietzsche, la bourgeoisie
ne justifie plus son univers par la mise en valeur de ses avantages,
au contraire, elle lattaque, elle attaque sa propre
décadence dont elle est consciente. La pensée
de Nietzsche est la première pensée réellement
fasciste, cest-à-dire la critique radicale de
droite de la société. Cest le
passage du bourgeois au super-bourgeois, ou plus exactement ici
de lhomme au surhomme. Nietzsche critique de la même
manière lau-delà des religieux comme lau-delà
des socialistes (le socialisme), au profit du développement
concret dune élite et dune masse soumise.
Nietzsche, cest un fait,
ne connaît rien à léconomie. Il ne
sintéresse quaux superstructures, et sil
sexprime par des mythes qui fascinent, cest parce
quil est le premier dune longue liste de penseurs
de droite, quil na pas lui-même vécu
lapogée de limpérialisme (dans le fascisme).
Le jeune Nietzsche attaque ainsi
le " libéralisme ", " laplatissement
franco-juif ", considère que " la
culture la plus générale, cest-à-dire
la barbarie est justement la présupposition du communisme...
La culture générale passe par la haine contre la
véritable culture... ". Nietzsche méprise
les associations de travailleurs car elles partent des besoins
du peuple, et que cela signifie une " joie terrestre
comprise crue ". Laristocratisme de Nietzsche
attaque le bonheur matériel (dont en rentier il na
pas besoin, layant déjà), et ainsi le
socialisme.
Le jeune Nietzsche considère
que si la société grecque sest écroulée
pour sêtre appuyée sur les esclaves, aujourdhui
cest le manque desclaves qui fait chavirer la société.
La citation au début de notre travail est assez éloquente.
Ajoutons en une: " De tels fantômes comme la dignité
des hommes, la dignité du travail, sont les médiocres
produits de lesclavage se cachant à lui-même.
Funestes temps où lesclave a besoin de telles notions,
où il est excité à penser sur lui et au-delà
de lui! Funestes corrupteurs qui ont détruit létat
dinnocence de lesclave par le fruit de larbre
de la connaissance! ".
On comprend pourquoi le régime
violemment autoritaire, bonapartiste de Bismarck est perçu
par lui comme une " démocratie ".
Sa vision est celle dun rentier: " Lexploitation
du travailleur était, comme on le comprend maintenant,
une bêtise, un gaspillage au prix du futur, une mise en
danger de la société ". Les fascistes
ne disent pas les choses différemment, et dailleurs
pour Nietzsche une meilleure culture ne peut existe quavec
une société divisée en deux castes, composés
de ceux qui sont obligés de travailler et les autres.
Dans " Humain, trop humain "
Nietzsche voit en le socialisme une maladie à dépasser,
et espère en une classe moyenne capable de léviter.
Les choses sont politiquement claires.
Puis, avec lâge, Nietzsche
devient encore plus réactionnaire. Dans " science
joyeuse " (1882) il attaque carrément les capitalistes
pour ne pas être aristocratiques, et de nainsi pas
avoir les méthodes justes pour éviter le " socialisme
des masses ".
Que cet article ait souvent été
cité par les fascistes, on le comprend. De toute manière,
Nietzsche, celui qui cherche un meilleur moyen pour éviter
le socialisme, a la même vision queux. Dans " Généalogie
de la morale " il constate attristé que le peuple
(ou les esclaves, la plèbe...) ait gagné. Dans
" lAntéchrist " il affirme mépriser
fondamentalement les socialistes qui ne laissent pas le travailleur
tranquille, lempêchant dêtre satisfait
de son sort (car cest son véritable " instinct "!).
Son discours sur les " nouveaux barbares "
est digne du radotage fasciste du Figaro ou de Chevenement sur
les banlieues.
Il faut bien voir quil suffit
de " changer " son interprétation
de Nietzsche pour en faire quelquun de bien - à
condition évidemment que sa conception globale réactionnaire
soit " oubliée ". Selon leur degré
de soumission à la bourgeoisie (et de sincérité),
les défenseurs philosophiques de lordre bourgeois
font la lumière (ou pas) sur lensemble de la pensée
de Nietzsche, qui est un tout. La pensée de Nietzsche
est une pensée réactionnaire de fin de parcours;
elle emprunte par exemple aux Lumières certaines conceptions,
qui vont être mises en avant par les nouveaux réactionnaires
(évidemment discrets sur le reste).
Lattitude globale de Nietzsche
préfigure le nazisme: raffiné, moral, aristocratique
et esthétique au sein des dominants; brutalité
et barbarie contre les dominés. Nietzsche attaque la morale
communiste (à chacun selon ses capacités, à
chacun selon ses besoins), il est fascinant et hyper-révolutionnaire,
esprit rebelle sans nuance, hypersensible jusquà
lhystérie, brutal et esthétique. Nietzsche
a construit léthique de la bourgeoisie impérialiste
en action; la " morale " de la réaction.
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