Programme de l'Internationale communiste
(Adopté par le VIe Congrès mondial - le 1er septembre 1928 à Moscou)



L'époque de l'impérialisme est celle du capitalisme mourant. La guerre mondiale de 1914-1918 et la crise générale du capitalisme qu'elle a déchaînée furent le résultat d'une profonde contradiction entre le développement des forces productives de l'économie mondiale et les frontières des États. Elles ont montré et prouvé que les conditions matérielles du socialisme au sein de la société capitaliste sont déjà mûres et que, l'enveloppe capitaliste de la société étant devenue un obstacle intolérable au développement ultérieur de l'humanité, l'histoire a mis à l'ordre du jour le renversement du joug capitaliste par la révolution.
L'impérialisme soumet les innombrables masses prolétariennes de tous les pays -- dans les métropoles de la puissance capitaliste comme dans les coins les plus reculés du monde colonial -- à la dictature d'une ploutocratie capitaliste financière. L'impérialisme met à nu et approfondit avec la force d'éléments déchaînés toutes les contradictions de la société capitaliste, développe à l'extrême l'oppression des classes, aiguise au plus haut degré la lutte entre les États capitalistes, engendre l'inéluctabilité des guerres impérialistes mondiales qui ébranlent tout le système des rapports existants et achemine la société, avec une irrésistible nécessité, vers la révolution prolétarienne mondiale.
Enchaînant l'univers dans les liens du capital financier, contraignant, par le sang, par le fer et par la faim, les prolétaires de tous les pays, de toutes les nationalités et de toutes les races à se courber sous son joug, aggravant formidablement l'exploitation, l'oppression et l'asservissement du prolétariat qu'il met devant la tâche immédiate de conquérir le pouvoir, l'impérialisme crée la nécessité d'une étroite cohérence des ouvriers en une armée internationale unique des prolétaires de tous les pays, formée indépendamment des frontières d'États, des différences de nationalité, de culture, de langue, de race, de sexe et de profession. L'impérialisme, en développant et en achevant ainsi la création des conditions matérielles du socialisme, place le prolétariat en face de la nécessité de s'organiser en une association ouvrière internationale de combat et assure, par là, la cohésion de l'armée de ses propres fossoyeurs.
L'impérialisme détache, d'autre part, la partie la plus aisée de la classe ouvrière des grandes masses. Cette "aristocratie" ouvrière, corrompue par l'impérialisme, qui constitue les cadres dirigeants des Partis social-démocrates, intéressée au pillage impérialiste des colonies, dévouée à "sa" bourgeoisie et à "son" État impérialiste, se trouva, à l'heure des batailles décisives, aux côtés de l'ennemi de classe du prolétariat. La scission du mouvement socialiste provoquée par cette trahison de 1914 et les trahisons ultérieures des Partis social-démocrates, devenus en fait des partis ouvriers bourgeois, ont prouvé que le prolétariat mondial ne peut remplir sa mission historique -- briser le joug de l'impérialisme et conquérir la dictature prolétarienne -- que par une lutte implacable contre la social-démocratie. L'organisation des forces de la révolution internationale n'est donc possible que sur la plate-forme du communisme. A la Deuxième Internationale opportuniste de la social-démocratie, devenue l'agent des impérialistes au sein de la classe ouvrière, s'oppose inéluctablement la Troisième, L'Internationale communiste, organisation universelle de la classe ouvrière, incarnant l'unité authentique des ouvriers révolutionnaires de tous les pays.
La guerre de 1914-1918 provoqua les premières tentatives de créer une nouvelle Internationale révolutionnaire comme contrepoids de la Deuxième Internationale social-chauvine et comme instrument de résistance à l'impérialisme guerrier (Zimmerwald, Kienthal). La victoire de la révolution prolétarienne en Russie donna l'impulsion à la constitution de Partis communistes dans les métropoles capitalistes et dans les colonies. En 1919, fut fondée L'Internationale communiste qui, pour la première fois dans l'histoire, unit effectivement dans la lutte révolutionnaire des éléments avancés du prolétariat d'Europe et d'Amérique aux prolétaires de Chine et des Indes, aux travailleurs nègres d'Afrique et d'Amérique.
Parti international unique et centralisé du prolétariat, L'Internationale communiste est la seule continuatrice des principes de la Première Internationale appliqués sur la base nouvelle d'un mouvement prolétarien révolutionnaire de masses. L'expérience de la première guerre impérialiste, de la crise révolutionnaire du capitalisme qui lui a succédé et des révolutions de l'Europe et des pays coloniaux, l'expérience de la dictature du prolétariat et de l'édification du socialisme en URSS, l'expérience du travail de toutes les sections de L'Internationale communiste, fixée dans les décisions de ses congrès, et enfin, l'internationalisation de plus en plus grande de la lutte entre la bourgeoisie impérialiste et le prolétariat, rendent indispensable l'élaboration d'un programme de L'Internationale communiste, unique et commun à toutes ses sections. Le programme de l'IC réalise ainsi la plus haute synthèse critique de l'expérience du mouvement révolutionnaire international du prolétariat, il est un programme de lutte pour la dictature mondiale du prolétariat, un programme de lutte pour le communisme mondial.
L'Internationale communiste, qui unit les ouvriers révolutionnaires et entraîne des millions d'opprimés et d'exploités contre la bourgeoisie et ses agents "socialistes", se considère comme la continuatrice historique de la "Ligue des communistes" et de la Première Internationale qui furent sous la direction immédiate de Karl Marx, et comme l'héritière des meilleures traditions d'avant-guerre de la Deuxième Internationale. La Première Internationale jeta les bases doctrinales de la lutte internationale du prolétariat pour le socialisme. La Deuxième Internationale, dans sa meilleure époque, prépara le terrain à une large expansion du mouvement ouvrier parmi les masses. La Troisième Internationale Communiste, continuant l'oeuvre de la Première Internationale et recueillant les fruits des travaux de la Deuxième, en a résolument rejeté l'opportunisme, le social-chauvinisme, la déformation bourgeoise du socialisme, et a commencé à réaliser la dictature du prolétariat. L'Internationale communiste continue par cela les traditions héroïques et glorieuses du mouvement ouvrier international: celles des chartistes anglais et des insurgés français de 1830, celles des ouvriers révolutionnaires français et allemands de 1848; celles des combattants immortels et des martyrs de la Commune de Paris; celles des soldats valeureux des révolutions allemande, hongroise et finlandaise; celles des ouvriers courbés naguère sous le despotisme des tsars et devenus des réalisateurs victorieux de la dictature du prolétariat; celles des prolétaires chinois, héros de Canton et de Shanghai.
S'inspirant de l'expérience historique du mouvement ouvrier révolutionnaire de tous les continents et de tous les peuples, L'Internationale communiste se place entièrement et sans réserves, dans son activité théorique et pratique, sur le terrain du marxisme révolutionnaire dont le léninisme -- qui n'est pas autre chose que le marxisme de l'époque de l'impérialisme et des révolutions prolétariennes -- est le développement ultérieur.
En défendant et en propageant le matérialisme dialectique de Marx et d'Engels, en l'appliquant comme la méthode révolutionnaire de connaissance de la réalité dans un but de transformation révolutionnaire de cette dernière, L'Internationale communiste combat activement toutes les variétés de la pensée bourgeoise et de l'opportunisme théorique et pratique. Demeurant sur le terrain de la lutte de classe prolétarienne conséquente, subordonnant les intérêts passagers, partiels, corporatifs et nationaux du prolétariat à ses intérêts permanents, généraux et internationaux, L'Internationale communiste démasque impitoyablement, quels qu'en soient les aspects, la doctrine de la "paix sociale" empruntée par les réformistes à la bourgeoise. Exprimant la nécessité historique de l'organisation internationale des prolétariens révolutionnaires, fossoyeurs du système capitaliste. L'Internationale communiste est l'unique force internationale qui ait pour programme la dictature du prolétariat et le communisme et qui agisse au grand jour comme organisatrice de la révolution prolétarienne mondiale.

I. Le système mondial du capitalisme,
son développement et sa ruine inévitable
1. Les lois générales du développement du capitalisme
et l'époque du capital industriel

La société capitaliste, fondée sur le développement de la production des marchandises, est caractérisée par le monopole de la classe des capitalistes et des gros propriétaires fonciers sur les moyens de production les plus importants et décisifs, par l'exploitation de la main-d'oeuvre salariée de la classe des prolétaires, privés des moyens de production et obligés de vendre leur force de travail, par la production des marchandises en vue d'en retirer des profits, par l'absence de plan et l'anarchie qui résulte de ces diverses causes dans l'ensemble du procès de la production. Les rapports sociaux d'exploitation et la domination économique de la bourgeoisie trouvent leur expression politique dans l'organisation de l'État capitaliste, appareil de coercition contre le prolétariat.
L'histoire du capitalisme confirme entièrement la doctrine de Marx sur les lois du développement de la société capitaliste et sur les contradictions inhérentes à ce développement, qui mènent le système capitaliste à sa perte inéluctable.
La bourgeoisie fut contrainte, dans sa course aux profits, de développer, dans des proportions toujours croissantes, les forces productives, de renforcer et d'étendre la domination des rapports capitalistes de production. Le développement du capitalisme, pour cette raison, reproduisit constamment sur une base élargie toutes les contradictions internes du système, avant tout, la contradiction décisive existant entre le caractère social du travail et le caractère privé de l'appropriation, entre la croissance des forces productives et les rapports capitalistes de propriété. La propriété des moyens de production et le fonctionnement spontané et anarchique de la production elle-même provoquèrent la rupture de l'équilibre économique entre les différentes branches de la production, par suite du développement de la contradiction entre la tendance de la production à une extension illimitée et la consommation limitée des masses prolétariennes (surproduction générale), ce qui entraîna des crises périodiques dévastatrices et livra des masses de prolétaires au chômage. La domination de la propriété privée s'exprima par une concurrence sans cesse croissante, aussi bien à l'intérieur de chaque pays capitaliste que sur le marché mondial. Cette dernière forme de rivalité entre capitalistes eut pour conséquence les guerres qui accompagnent inévitablement le développement capitaliste.
Les avantages techniques et économiques de la grande production provoquèrent, d'autre part, par le jeu de la concurrence, l'élimination et la destruction des formes précapitalistes de l'économie, une concentration et une centralisation croissante du capital. Dans l'industrie, cette loi de concentration et de centralisation se manifesta avant tout par le dépérissement de la petite production ou par sa réduction au rôle d'auxiliaire subordonné des grandes entreprises. Dans l'agriculture, dont le développement est nécessairement retardataire par suite du monopole de la propriété du sol et de la rente absolue, cette loi s'exprima non seulement par la différenciation de la paysannerie et la prolétarisation de larges couches de paysans, mais encore et surtout par des formes visibles ou voilées de la domination du gros capital sur la petite économie rurale qui, dans ce cas, ne peut conserver une apparence d'indépendance qu'au prix d'une extrême intensité du travail et d'une sous-consommation systématique.
L'utilisation croissante des machines, le perfectionnement constant de la technique et, sur cette base, la croissance incessante de la composition organique du capital accompagnées de la division croissante du travail, de l'augmentation de son rendement et de son intensité, signifiaient également un emploi plus large de la main-d'œuvre féminine et enfantine et la formation d'énormes armées industrielles de réserve, sans cesse grossies par les paysans prolétarisés, évincés des campagnes, et par la petite et moyenne bourgeoisie ruinée des villes. A l'un des pôles des rapports sociaux, formation de masses considérables de prolétaires, intensification continue de l'exploitation de la classe ouvrière, reproduction sur une base élargie des contradictions profondes du capitalisme et de leurs conséquences (crises, guerres, etc.), augmentation constante de l'inégalité sociale, croissance de l'indignation du prolétariat rassemblé et éduqué par le mécanisme même de la production capitaliste, tout cela sape infailliblement les bases du capitalisme et rapproche le moment de son écroulement.
Un profond bouleversement se produisit en même temps dans tout l'ordre moral et culturel de la société capitaliste: décomposition parasitaire des groupes de rentiers de la bourgeoisie, dissolution de la famille, exprimant la contradiction croissante entre la participation en masse des femmes à la production sociale et les formes de la famille et de la vie domestique héritées dans une large mesure des époques économiques antérieures; développement monstrueux des grandes villes et médiocrité de la vie rurale par suite de la division et de la spécialisation du travail; appauvrissement et dégénérescence de la vie intellectuelle et de la culture générale; incapacité de la bourgeoisie de créer, en dépit des grands progrès des sciences naturelles, une synthèse philosophique scientifique du monde; développement des superstitions idéalistes, mystiques et religieuses, tous ces phénomènes signalent l'approche de la fin historique du système capitaliste.

2. L'époque du capital financier (impérialisme)
La période du capitalisme industriel fut, en général, une période de "libre concurrence" pendant laquelle le capitalisme évolua avec une certaine régularité et se répandit sur tout le globe par le partage des colonies encore libres, conquises par la force des armes, le poids des contradictions internes du capitalisme sans cesse croissantes retombant principalement sur la périphérie coloniale opprimée, terrorisée et systématiquement rançonnée.
Cette période fit place, vers le début du XXe siècle, à celle de l'impérialisme, caractérisée par le développement du capitalisme par sauts brusques et par conflits, la libre concurrence cédant rapidement le pas au monopole, les terres coloniales naguère "libres" étant déjà partagées et la lutte pour un nouveau partage des colonies et des sphères d'influence commençant à prendre inévitablement et en premier lieu la forme de la lutte armée.
Les contradictions du capitalisme acquirent ainsi toute leur ampleur mondiale et leur expression la plus nette à l'époque de l'impérialisme (capitalisme financier), qui représente une nouvelle forme historique du capitalisme lui-même, un rapport nouveau entre les différentes parties de l'économie capitaliste mondiale et une modification des rapports entre les classes fondamentales de la société capitaliste.
Cette nouvelle période historique résulte de l'action des lois essentielles du développement de la société capitaliste. Elle mûrit avec le développement du capitalisme industriel, en est la continuation historique. Elle accentua la manifestation des tendances fondamentales et des lois du mouvement de la société capitaliste, ses contradictions et ses antagonismes fondamentaux. La loi de concentration et de la centralisation du capital aboutit à la formation de puissants groupements monopolistes (cartels, syndicats, trusts), à une nouvelle forme d'entreprises géantes combinées, liées en un seul faisceau par les banques. La fusion du capital industriel et du capital bancaire, l'entrée de la grande propriété foncière dans le système général du capitalisme désormais caractérisé par les monopoles, transformèrent la période du capital industriel en celle du capital financier. La "libre concurrence" du capitalisme industriel, qui remplaça autrefois le monopole féodal et le monopole du capital commercial, se transforma elle-même en monopole du capital financier. Les monopoles capitalistes, issus de la libre concurrence, ne la suppriment cependant pas, mais la dominent ou coexistent avec elle, provoquant ainsi des contradictions, des heurts et des conflits d'une acuité et d'une gravité particulières.
L'emploi grandissant de machines compliquées, des procédés chimiques et de l'énergie électrique, la croissance de la composition organique du capital sur cette base et la chute du taux du profit qui en est la conséquence -- et qui n'est enrayée qu'en partie, en faveur des plus grandes associations monopolistes, par la politique des hauts prix des cartels -- provoquant la continuation de la course aux surprofits coloniaux et la lutte pour un nouveau partage du monde. La production en masse, standardisée, exige de nouveaux débouchés extérieurs. La demande croissante de matières premières et de combustibles provoque d'âpres rivalités pour en accaparer les sources. Enfin, le haut protectionnisme, empêchant l'exportation des marchandises et assurant un surprofit au capital exporté, crée des stimulants complémentaires à l'exportation des capitaux qui devient la forme décisive et spécifique de la liaison économique entre les différentes parties de l'économie capitaliste mondiale. En résumé, la possession monopolisée des débouchés coloniaux, des sources de matières premières et des sphères d'investissements de capitaux, accroît d'une manière extrêmement rapide l'inégalité du développement capitaliste et aggrave, entre les "grandes puissances" du capital financier, les conflits pour un nouveau partage des colonies des sphères d'influence.
La croissance des forces productives de l'économie mondiale conduit donc à une plus grande internationalisation de la vie économique et, en même temps, à la lutte pour un nouveau partage du monde, déjà partagé entre les grands États du capital financier; elle provoque aussi un changement et une aggravation des formes de cette lutte: le remplacement de plus en plus fréquent de la concurrence au moyen de la baisse des prix, par appel direct à la force (boycottage, haut protectionnisme, guerres douanières, guerres au sens propre du mot, etc.). Le capitalisme, sous sa forme monopoliste, est, par conséquent, accompagné de guerres impérialistes inévitables, qui, par leur ampleur et la puissance destructive de la technique employée, n'ont pas de précédent dans l'histoire du monde.

3. Les forces de l'impérialisme et les forces de la révolution
La forme impérialiste du capitalisme qui exprime la tendance à la cohésion des diverses factions de la classe dominante, oppose les grandes masses du prolétariat non à un patron isolé, mais, de plus en plus, à la classe entière des capitalistes et à son État. D'autre part, cette forme de capitalisme brise les frontières des États nationaux devenues trop étroites et élargit les cadres du pouvoir capitaliste des grandes puissances, opposant à ce pouvoir les millions d'hommes des nationalités opprimées, des "petites" nations et des peuples coloniaux. Enfin, cette forme de capitalisme oppose avec plus d'acuité les États impérialistes les uns aux autres.
Dans cet état de choses, le pouvoir politique acquiert pour la bourgeoisie une importance particulière, il devient la dictature d'une oligarchie financière et capitaliste, l'expression de sa puissance concentrée. Les fonctions de cet État impérialiste qui comprend de nombreuses nationalités, se développent dans tous les sens. Le développement des formes de capitalisme d'État facilite à la fois la lutte sur les marchés extérieurs (mobilisation militaire de l'économie) et la lutte contre la classe ouvrière. Le développement monstrueux à l'extrême du militarisme (armée, flottes aérienne et navale, armes chimiques et bactériologiques), la pression croissante de l'État impérialiste sur la classe ouvrière (exploitation accrue et répression directe, d'une part, corruption systématique de la bureaucratie réformiste dirigeante, de l'autre), expriment l'énorme accroissement du rôle de l'État. Dans ces conditions, toute action plus ou moins importante du prolétariat se transforme en une action contre l'État, c'est-à-dire en une action politique.
Ainsi, le développement du capitalisme et, plus particulièrement, l'époque impérialiste reproduisent les contradictions fondamentales du capitalisme à une échelle de plus en plus considérable. La concurrence entre petits capitalistes ne cesse que pour faire place à la concurrence entre grands capitalistes; lorsque celle-ci se calme, se déchaîne la concurrence entre les formidables coalitions des magnats du Capital et de leurs États; les crises locales et nationales s'étendent à divers pays et finissent par embrasser le monde entier; les guerres locales font place aux guerres de coalitions et aux guerres mondiales; la lutte de classes passe de l'action isolée de certains groupes d'ouvriers, à des luttes nationales, puis à la lutte internationale du prolétariat mondial contre la bourgeoisie mondiale. Enfin, se dressent et s'organisent contre les forces du capital financier puissamment organisé, deux grandes forces révolutionnaires: d'une part, les ouvriers des États capitalistes et, de l'autres, les masses populaires des colonies ployées sous le joug du capital étranger, mais luttant sous la direction et l'hégémonie du mouvement révolutionnaire prolétarien international.
Cette tendance révolutionnaire fondamentale est cependant temporairement paralysée par la corruption de certains éléments du prolétariat européen, nord-américain et japonais, acquis à la bourgeoisie impérialiste et par la trahison de la bourgeoisie nationale des pays coloniaux et semi-coloniaux effrayée par le mouvement révolutionnaire des masses. La bourgeoisie des grandes puissances impérialistes recevant un profit supplémentaire, tant en raison de sa position sur le marché mondial en général (technique plus développée, exportation des capitaux, dans les pays où le taux du profit est plus élevé, etc.) qu'en raison du pillage des colonies et des semi-colonies, a pu élever, grâce à ces surprofits, les salaires d'une partie de "ses" ouvriers, les intéressant ainsi au développement du capitalisme de leur "patrie", au pillage des colonies et à la fidélité envers l'État impérialiste. Cette corruption systématique s'est particulièrement manifestée et se manifeste encore sur une large échelle dans les pays impérialistes les plus puissants; elle trouve son expression la plus éclatante dans l'idéologie et l'action de l'aristocratie ouvrière et des couches bureaucratiques de la classe ouvrière, c'est-à-dire des cadres dirigeants de la social-démocratie et des syndicats qui se sont révélés les agents directs de l'influence bourgeoise au sein du prolétariat et les meilleurs soutiens du régime capitaliste.
Mais, après avoir développé l'aristocratie corrompue de la classe ouvrière, l'impérialisme en détruit en fin de compte l'influence sur le prolétariat, dans la mesure où l'accentuation des contradictions du régime, l'aggravation des conditions d'existence et le chômage de grandes masses ouvrières, les dépenses et les charges énormes provoquées par les conflits armés, la perte par certaines puissances des monopoles qu'elles détenaient sur le marché mondial, la séparation des colonies, etc., ébranlent dans les masses la base du social-impérialisme. De même, la corruption systématique de diverses couches de la bourgeoisie des colonies et des semi-colonies, leur trahison du mouvement national-révolutionnaire et leur rapprochement avec les puissances impérialistes ne paralysent que temporairement le développement de la crise révolutionnaire. Ce procès mène, en fin de compte, au renforcement de l'oppression impérialiste, à l'affaiblissement de l'influence de la bourgeoisie nationale sur les masses populaires, à l'aggravation de la crise révolutionnaire, au déchaînement de la révolution agraire des grandes masses paysannes et à la création de conditions favorables à l'hégémonie du prolétariat des pays coloniaux et dépendants dans la lutte des masses populaires, pour l'indépendance et pour une complète libération nationale.

4. L'impérialisme et la chute du capitalisme
L'impérialisme a porté les forces productives du capitalisme mondial à un haut degré de développement. Il a achevé la préparation des prémices matérielles pour l'organisation socialiste de la société. Il démontre par ses guerres que les forces productives de l'économie mondiale ont dépassé les cadres restreints des États impérialistes et exigent l'organisation de l'économie sur une échelle internationale mondiale. L'impérialisme s'efforce de résoudre cette contradiction en frayant, par le fer et par le feu, la voie à un trust capitaliste étatique mondial et unique qui organiserait l'économie mondiale. Cette sanglante utopie est glorifiée par les idéologues social-démocrates qui y voient la méthode pacifique du nouveau capitalisme "organisé". Elle se heurte, dans la réalité, à des obstacles objectifs insurmontables d'une telle ampleur que le capitalisme est appelé à s'effondrer inévitablement sous le poids de ses propres contradictions. La loi de l'inégalité du développement capitaliste, accentué à l'époque impérialiste, rend impossibles les groupements stables et durables de puissances impérialistes. D'autre part, les guerres impérialistes qui se transforment en guerres mondiales par lesquelles la loi de concentration du capital s'efforce d'atteindre son extrême limite -- le trust mondial unique -- s'accompagnent de telles dévastations, imposent à la classe ouvrière et aux millions de prolétaires et de paysans des colonies de telles charges, que le capitalisme périra inévitablement sous les coups de la révolution prolétarienne, bien avant d'avoir atteint ce but.
Phase suprême du développement capitaliste, portant à un développement d'une formidable ampleur les forces productives de l'économie mondiale, recréant le monde entier à son image, l'impérialisme entraîne dans le champ d'exploitation du capital financier toutes les colonies, toutes les races et tous les peuples. Mais la forme monopoliste du capital développe en même temps à un degré croissant les éléments de dégénérescence parasitaire, de pourriture et de déclin du capitalisme. En détruisant, dans une certaine mesure, cette force motrice qu'est la concurrence, en menant une politique de hauts prix fixés par les cartels, en disposant sans restriction du marché, le capital monopoliste tend à entraver le développement ultérieur des forces productives. Prélevant sur des millions d'ouvriers et de paysans coloniaux des surprofits fabuleux et accumulant les énormes revenus de cette exploitation, l'impérialisme crée un type d'État rentier en voie de dégénérescence parasitaire et de putréfaction, et des couches entières de parasites vivant des coupons de rentes. Achevant le processus de la création des prémices matérielles du socialisme (concentration des moyens de production, immense socialisation du travail, croissance des organisations ouvrières), l'époque impérialiste aggrave les contradictions existant entre les "grandes puissances" et engendre des guerres qui aboutissent à la dislocation de l'unité de l'économie mondiale. L'impérialisme est pour cette raison le capitalisme pourrissant et mourant et, en général, la dernière étape de l'évolution capitaliste, le prélude de la révolution socialiste mondiale.
La révolution prolétarienne internationale découle ainsi des conditions du développement du capitalisme en général, et de sa phase impérialiste, en particulier. Le système capitaliste aboutit dans son ensemble à une faillite définitive. La dictature du capital financier périt, faisant place à la dictature du prolétariat.

II. La crise générale du capitalisme et la première phase de la révolution mondiale
1. La guerre mondiale et le développement de la crise révolutionnaire

La lutte entre les principaux États capitalistes pour un nouveau partage du monde provoqua la première guerre impérialiste mondiale (1914-1918). Cette guerre ébranla le système capitaliste mondial et inaugura la période de sa crise générale. Elle mit à son service toute l'économie nationale des pays belligérants, créant ainsi la poigne de fer du capitalisme d'État; elle entraîna de fabuleuses dépenses improductives, détruisit une quantité énorme de moyens de production et de main-d'oeuvre, ruina les grandes masses populaires, imposa des charges innombrables aux ouvriers industriels, aux paysans et aux peuples coloniaux. Elle aggrava fatalement la lutte de classes, qui se transforma en action révolutionnaire de masses et en guerre civile. Le front impérialiste fut rompu dans son secteur le plus faible, en Russie tsariste. La révolution russe de février 1917 brisa le pouvoir, l'autocratie des gros propriétaires fonciers. La révolution d'Octobre renversa le pouvoir de la bourgeoisie. Cette révolution prolétarienne victorieuse expropria les expropriateurs, ôta à la bourgeoisie et aux grands propriétaires fonciers les moyens de production, établit et affermit, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la dictature du prolétariat dans un grand pays, réalisa un nouveau type d'État, l'État soviétique, et inaugura la révolution prolétarienne internationale.
L'ébranlement profond du capitalisme mondial, l'aggravation de la lutte de classes et l'influence immédiate de la révolution prolétarienne d'Octobre, déterminèrent des révolutions et des mouvements révolutionnaires tant en Europe que dans les pays coloniaux et semi-coloniaux: janvier 1918, révolution ouvrière en Finlande; août 1918, "émeutes du riz" au Japon; novembre 1918, révolutions en Autriche et en Allemagne, renversant des monarchies semi-féodales; mars 1919, révolution prolétarienne en Hongrie et soulèvement en Corée; avril 1919, République des Soviets en Bavière; janvier 1920, révolution nationale bourgeoise en Turquie; septembre 1920, occupation des usines par les ouvriers en Italie; mars 1921, soulèvement de l'avant-garde ouvrière en Allemagne; septembre 1923, insurrection en Bulgarie; automne 1923, crise révolutionnaire en Allemagne; décembre 1924, insurrection en Estonie; avril 1925, soulèvement au Maroc; août 1925, soulèvement en Syrie; mai 1926, grève générale en Angleterre; juillet 1927, insurrection ouvrière à Vienne. Ces faits et des événements tels que l'insurrection de l'Indonésie, l'effervescence profonde de l'Inde, la grande révolution chinoise qui a ébranlé tout le continent asiatique, forment les chaînons de l'action révolutionnaire internationale et sont les éléments constituants de la grave crise générale du capitalisme. Ce procès de la révolution mondiale comprend la lutte immédiate pour la dictature du prolétariat, les guerres de libération nationale et les soulèvements coloniaux contre l'impérialisme, indissolublement liés au mouvement agraire des grandes masses paysannes. La masse innombrable des hommes s'est ainsi trouvée entraînée dans le torrent révolutionnaire. L'histoire du monde est entrée dans une nouvelle phase, celle de la crise générale et durable du système capitaliste. L'unité de l'économie mondiale s'exprime dans le caractère international de la révolution; et l'inégalité de développement des diverses parties de l'économie mondiale dans le fait que les révolutions n'éclatent pas simultanément dans les différents pays.
Les premières tentatives de révolution, nées de la crise aigu' du capitalisme (1918-1921), se terminèrent par la victoire et l'affermissement de la dictature du prolétariat dans l'URSS et par la défaite du prolétariat dans divers autres pays. Ces défaites sont dues, avant tout, à la tactique de trahison des chefs social-démocrates et des leaders réformistes du mouvement syndical; au fait que les communistes n'entraînaient pas encore la majorité de la classe ouvrière et que dans plusieurs pays, des plus importants, il n'existait pas encore de Parti communiste.
A la suite de ces défaites qui rendirent possibles l'exploitation accrue des masses prolétariennes et des peuples coloniaux, et une brusque réduction de leur niveau de vie, la bourgeoisie put réaliser une stabilisation partielle du régime capitaliste.

2. La crise révolutionnaire et la social-démocratie contre-révolutionnaire
Les cadres dirigeants des partis social-démocrates et des syndicats réformistes et les organisations capitalistes de combat du type fasciste ont acquis, au cours de la révolution internationale, la plus grande importance comme force contre-révolutionnaire combattant avec ardeur la révolution et soutenant de même la stabilisation partielle du Capital.
La guerre de 1914-1918 fut accompagnée de la honteuse faillite de la IIe Internationale social-démocrate. En contradiction absolue avec la thèse du Manifeste du Parti communiste de Marx et d'Engels, qui affirme que les prolétaires n'ont pas de patrie en régime capitaliste, en contradiction absolue avec les résolutions adoptées contre la guerre par les congrès socialistes internationaux de Stuttgart et de Bâle, les chefs des Partis social-démocrates nationaux, à quelques exceptions près, votèrent les crédits de guerre, se prononcèrent résolument pour la "défense nationale" de leurs "patries" impérialistes (c'est-à-dire des États de la bourgeoisie impérialiste) et, au lieu de s'opposer à la guerre impérialiste, devinrent ses fidèles soldats, ses propagandistes et ses thuriféraires (le social-patriotisme se transformait ainsi, par voie de croissance, en social-impérialisme). Dans la période suivante, la social-démocratie défendit les traités spoliateurs (Brest-Litovsk, Versailles); elle intervint activement aux côtés des généraux dans la répression sanglante des soulèvements prolétariens (Noske); elle combattit les armes à la main la première République prolétarienne (la Russie des Soviets); elle trahit honteusement le prolétariat au pouvoir (Hongrie); elle adhéra à la Société des nations impérialiste (A. Thomas, Paul-Boncour, Vandervelde); elle prit carrément le parti des esclavagistes impérialistes contre les esclaves coloniaux (le "Labour Party" anglais); elle soutint activement les bourreaux les plus réactionnaires de la classe ouvrière (Bulgarie, Pologne); elle prit l'initiative des "lois militaires" impérialistes (France); elle trahit la grande grève générale du prolétariat anglais; elle aida à étouffer la grève des mineurs anglais; elle aida et elle aide encore à opprimer la Chine et l'Inde (gouvernement Mac Donald); elle assume le rôle de propagandiste de la Société des nations impérialiste, de héraut du Capital et de force organisatrice de la lutte contre la dictature du prolétariat dans l'URSS (Kautsky, Hilferding).
Poursuivant systématiquement cette politique contre-révolutionnaire, la social-démocratie opère au moyen de ses deux ailes: l'aile droite, ouvertement contre-révolutionnaire, indispensable aux négociations et à la liaison directe avec la bourgeoisie, et l'aile gauche destinée à tromper les ouvriers avec un subtilité particulière. La "gauche" social-démocrate, usant volontiers de la phrase pacifiste et parfois même de la phrase révolutionnaire, agit en réalité contre les ouvriers, surtout aux heures les plus critiques (les "indépendants" anglais et la "gauche" du Conseil général des Trade-Unions pendant la grève générale de 1926; Otto Bauer et Cie pendant l'insurrection viennoise, etc.) et constitue pour cette raison la fraction la plus dangereuse des partis social-démocrates. Servant au sein de la classe ouvrière les intérêts de la bourgeoisie et se plaçant entièrement sur le terrain de collaboration de classes et de la coalition avec la bourgeoisie, la social-démocratie est, à certains moments, contrainte de passer à l'opposition et même de simuler la défense des intérêts de classe du prolétariat dans sa lutte économique; elle le fait à seule fin d'acquérir la confiance d'une partie de la classe ouvrière et de trahir ses intérêts permanents, d'autant plus honteusement, à l'heure des batailles décisives.
Le rôle essentiel de la social-démocratie est maintenant de saper l'indispensable unité de combat du prolétariat en lutte contre l'impérialisme. Scindant et divisant le front rouge unique de la lutte prolétarienne contre le Capital, la social-démocratie est le principal appui de l'impérialisme dans la classe ouvrière. La social-démocratie internationale de toutes nuances, la IIe Internationale et sa filiale syndicale, la Fédération syndicale internationale d'Amsterdam, sont ainsi devenues des réserves de la société bourgeoise, son plus sûr rempart.

3. La crise du capitalisme et le fascisme
A côté de la social-démocratie, à l'aide de laquelle la bourgeoisie réprime le mouvement ouvrier ou endort sa vigilance de classe, se dresse le fascisme.
L'époque de l'impérialisme, l'aggravation de la lutte de classes et la croissance, surtout après la guerre impérialiste mondiale, des facteurs de guerre civile, ont provoqué la faillite du parlementarisme. De là, les "nouvelles" méthodes et les nouvelles formes de gouvernement (le système des "petits cabinets", la formation d'oligarchies agissant dans les coulisses, la déchéance et la falsification de la "représentation populaire", les restrictions apportées aux "libertés démocratiques", qui sont parfois abolies, etc.). Cette offensive de la réaction bourgeoise impérialiste prend, dans certaines conditions historiques, la forme du fascisme. Ces conditions sont: l'instabilité des rapports capitalistes, l'existence d'importants éléments sociaux déclassés, l'appauvrissement de grandes couches de la petite bourgeoisie des campagnes et, enfin, la constante menace d'action de masse du prolétariat. Afin de s'assurer une stabilité, une fermeté et une continuité plus grandes du pouvoir, la bourgeoisie est de plus en plus contrainte de passer du système parlementaire à la méthode fasciste, indépendante des rapports et des combinaisons de partis. Cette méthode est celle de la dictature directe, idéologiquement camouflée à l'aide de "l'idée nationale" et de la représentation "corporative" (qui est en réalité celle des divers groupes des classes dominantes); elle exploite le mécontentement des masses petites-bourgeoises,