Electronique,
gothique : quel hérétisme ?
La fin des années 1970 et le tout début des années
1980 ont été marqué par l'apparition d'une
nouvelle culture musicale. Les gothiques font leur apparition,
autour de quelques groupes cultes : Joy Division, The Cure, Siouxie
and the Banshees. Initialement la philosophie des gothiques est
aussi noire que leur accoutrement.
La plupart des premiers groupes venaient du Punk, mais de la
frange la plus esthétique et la moins politisée.
Ainsi, la chanteuse Siouxie (d'origine juive), qui voulait chanter
avec un brassard à croix gammée lors d'un concert,
fut rejeté par les membres du groupe les Clash. Il y eut
également la chanson " Killing an Arab " des
Cure. Cette chanson retrace en fait le roman " l'étranger
" de Camus, où un Français moyen tue un arabe
comme il mangerait un bonbon. Mais le National Front anglais
a tenté de récupérer la chanson. Les Cure
ont énergiquement protesté ; on peut en voir un
exemple sur la vidéo du live à Orange, où
le chanteur dit " que la chanson " tuant un arabe "
n'a aucun contenu raciste. C'est une chanson qui décrit
l'existence de préjugés et la violence qui en découle.
Les Cure condamnent l'utilisation de cette chanson pour des sentiments
anti-arabes ".
A part ces petits scandales, la scène gothique continua
son petit chemin sans références politiques particulières,
tout en étant assez proches d'une étude révolutionnaire
: tout d'abord parce que les fascistes ne les aimaient pas, et
ensuite parce que la société ne les aimait pas
trop non plus. A force de rentrer en conflit avec les skinheads
tapant tout ce qui n'est pas comme eux, les gothiques comprirent
assez rapidement ce qu'il en était.
Un autre phénomène qui a joué en faveur
des fascistes est la fusion de la scène electro et de
la scène gothique.
Tout allait donc très bien dans les années 1980
; le groupe culte Sisters of Mercy se revendiquait clairement
de la révolution, les fascistes se contentaient d'écouter
de la oï, et tout était bien tranquille.
L'évolution commença avec la fusion de la scène
electro et de la scène gothique.
A la base, les groupes electro sont fondamentalement très
à gauche. La musique electro consiste en une musique utilisant
les mêmes matériels que pour la techno (voire même
avant l'apparition de celle-ci), mais pour une musique très
froide, très répétitive. L'ambiance de la
musique electro est assez oppressante, la perspective sociale
toujours très forte.
Le groupe Cabaret Voltaire mit ainsi en avant les formes de contrôle
social (entre autres avec le fameux " Baader Meinhof "),
le groupe KMFDM critiquait les valeurs de la société
capitaliste, le groupe Die Krupps n'hésitait pas styliser
la critique de l'exploitation capitaliste, et Front Line Assembly
à prôner la lutte des classes. Seul Ministry donnait
dans le pur romantisme, et le groupe DAF jouait sur la corde
squatt/cuir/homosexualité et la virilité fasciste
comme provocation contrôlée.
Les groupes à tendance industrielle, relativement proches
musicalement, n'étaient pas éloignés de
ces principes. Le groupe SPK lui mettait en avant le rôle
des institutions psychiatriques dans le contrôle social
(SPK, en référence au " collectif de patients
socialistes " au départ lié à la RAF,
entendait " exposer la cathédrale de la mort ").
Ainsi, Throbbing Gristle (TG) jouait sur l'esthétique
fasciste dans une perspective complètement déjantée.
Le groupe yougoslava Laibach fit de même, mais dans une
perspective de critique sociale de la société très
élaborée. Il s'agissait de mettre en avant les
traumatismes qui ont pu être amené avec drames du
siècle.
Néanmoins, la réception du groupe Laibach se passa
très bien partout, sauf en France, où les fascistes
tentèrent (avec succès) de s'en approprier l'image.
Ce fut un des premiers avertissements lors de la fusion du gothique
et de l'electro. Cette dernière s'est faite progressivement,
lentement mais sûrement. Aujourd'hui, le gothique est de
l'electro-goth, et ceux/celles qui l'écoutent ne connaissent
souvent même pas les groupes d'origine du gothique.
En France, la fusion a commencé dans les clubs, qui passaient
à la fois du gothique et de l'electro. De nombreux fascistes
ont commencé à écouter ce dernier style
de musique. Déjà parce qu'il y avait Laibach comme
" entrée ", et ensuit et principalement sous
l'influence du groupe Front 242. Ils écoutaient également
notamment deux autres groupes, à savoir Depeche Mode et
Nitzer Ebb (pourtant clairement favorables au communisme comme
en témoignent les textes et les pochettes). Mais étant
donné que la musique electro ne leur semblait pas influencer
par la musique " noire ", les fascistes appréciaient
ce qu'ils considéraient comme une musique martiale.
De plus Front 242 était le premier (très bon) groupe
à jouer clairement sur l'ambiguïté.
Théoriquement, Front 242 n'est pas un groupe fasciste.
Dans une réponse aux Allemands de " Gothiques contre
le fascisme ", ils disent : " Nous avons lu votre manifeste
et nous comprenons parfaitement ces problèmes depuis que
Front 242 et l'EBM [electronic body music, le style electro dansant
du groupe] ont été associé aux groupes d'extrême-droite
Nous mettons des déclarations anti-fascistes dans tous
nos disques et nos CDs vendus en France, où nous avons
eu des problèmes de ce type ! C'est un débat que
nous avons affronté pendant 15 ans. Nous soutenons votre
action car nous sommes totalement contre toute sorte de philosophie
xénophobe, raciste ou d'extrême-droite ".
A lire ceci on dit : très bien. La vérité
est malheureusement sans doute ailleurs. Déjà parce
que sur les pochettes les croix celtiques stylisées de
manière électronique sont quand même là.
Ensuite parce que dans les interviews il est parlé de
" musique européenne ", ce qui est absolument
n'importe quoi. De fait, Front 242 est sans doute proche des
nationalistes-révolutionnaires (comme en témoignent
entre autres la chanson " Funkhadafi ") et a joué
un profil bas par opportunités.
En tout cas que cela a été une première
porte ouverte pour les fascistes dans la scène gothique.
Puisque la scène skinhead avait dû mal à
survivre, certains skins ont vu là un bon moyen de ne
pas se ringardiser et de pouvoir quand même sortir. C'était
la mode aux " nationalistes-révolutionnaires ".
Une autre porte allait s'ouvrir, également dans l'optique
" fasciste mais moderne ". Ce fut le groupe death in
june (DIJ), l'un des groupes les plus marquants de l'histoire
de la scène gothique/electro. Le style de musique est
pourtant très différent, puisqu'il s'agit de dark
folk, c'est-à-dire de musique folk inventée et
très sombre, de très bonne qualité pour
qui aime le genre.
Le groupe DIJ est à la base un groupe de punk rock nommé
Crisis, d'idéologie trotskyste. Opposé au bloc
soviétique et au bloc américain, le groupe chante
également contre la police, pour la révolution,
etc. mais sur la base idéologique du SWP anglais (qui
a donné en France le groupe " socialisme international
" puis " socialisme par en bas "). Il y a ainsi
une violente chanson contre les Brigades Rouges.
Très critique sur le mouvement communiste par la suite,
les membres du groupes commencent à être fasciné
par la SA de l'Allemagne pré-nazie. Du " ni Washington
ni Moscou " des trotskystes du SWP au discours national-révolutionnaire
pan-européen, il n'y avait qu'un pas, vite franchi.
Les SS étaient la garde personnelle de Hitler, et les
SA étaient la base populaire. Ses dirigeants mettaient
en avant le côté social, et prônaient après
la prise du pouvoir par les nazis le développement d'une
" seconde révolution ".
Les SA ont permis aux nazis de devenir un mouvement de masse,
notamment grâce au soutien de l'armée. Les SA passèrent
de 100.000 membres en 1931 à presque trois millions en
décembre 1933.
Cette position fascine les membres du groupe, qui prend alors
le nom de DIJ, c'est-à-dire de " mort en juin ",
ce qui est une référence à la " nuit
des longs couteaux ", où en juin 1934 les SS liquidèrent
les SA.
Les deux premières productions du groupe sont ainsi référencés
SA 29 6 34 et SA 30 6 34, c'est-à-dire de fait la nuit
du 29 au 30 juin 1934. Le label, créé par le groupe,
prend le nom de " New European Records ". Le chanteur,
Douglas Pearce, n'hésite pas non plus à utiliser
le nom " Dr Röhm " (le leader des SA) pour les
envois de courrier.
Cette fascination pour la SA, sa violence, son imagerie, son
homosexualité, se retrouve dans la reprise de la chanson
" Horst Wessel ". Il s'agit de l'hymne de la SA, en
l'honneur de leur " kamerad " Horst Wessel, "
tué par le front rouge et la réaction ". Dans
la chanson de DIJ, on peut entendre un extrait de film où
un membre de la SA explique à une vieille dame que la
direction de la SS était également homosexuelle.
La chanson n'est néanmoins pas une chanson militante.
C'est une chanson triste, car elle est la chanson sur la perte
d'un " kamerad ". Dans les interview, DIJ ne cesse
de mettre en avant que " l'histoire aurait pu se passer
différemment ". Ces déçus du trotskysme
ont cherché un mythe, qu'ils ont trouvé dans les
SA.
En 1983 sort le mini album " The Guilty has no pride "
(le coupable n'a aucun honneur). Dans une interview d'alors (au
magazine Grim Humour #2), le chanteur Douglas Pearce affirme
: " je pense que la culture européenne est la plus
importante dans le monde et qu'elle est en danger par les autres
cultures principales, par exemple les cultures américaine,
soviétique. Alors qu'elle a tant à donner : nous
devrions en être fiers ".
Sur l'album, le logo du groupe est une tête de mort SS
légèrement retouchée accompagnée
du chiffre 6 (pour le mois de juin).
Et l'album " Burial " de 1984 n'est pas différent,
avec des chansons comme " Death of the West " (la mort
de l'occident), " Sons of Europe " (fils de l'Europe,
où il est parlé de l'Europe enchaînée
par le libéralisme, le capitalisme), Fields (Champs, où
est regretté la " guerre entre frères "
allemands et anglais lors de la seconde guerre mondiale). La
chanson Black Radio fait elle clairement référence
aux nationalistes-révolutionnaires (De Prague à
Berlin/Le message arrive/Le marteau et l'épée [symboles
des NR]/Prends les ils sont tiens).
Plus tard, on retrouve cette chanson sur la compilation New Horizons,
avec un titre différent : " Some of our best friends
live in South America " (certains de nos meilleurs amis
vivent en Amérique du Sud, référence à
la fuite de nombreux responsables nazis sur ce continent). Le
membre du groupe Tony Wakeford, qui sera jeté du groupe
à ce moment là pour être trop " radical
" dans ses affirmations, dira au magazine F.I.S.T. que "
Les nazis sont plus intéressants que les communistes.
Ils ont de meilleurs uniformes (.. ). Cela donne de la force
que de toucher un sujet tabou (
). Patrick O'Kill (en fait
Patrick Leagas) dira par la suite : " Il y a eu beaucoup
de mauvaises interprétations de DIJ, mais en même
temps certaines des rumeurs les plus noires étaient vraies
".
Le retrait de Tony Wakeford fait reculer la thématique
nazie (période de " Nada "), mais pas assez
pour Patrick qui quitte le groupe et forme " Sixth Com.
", abréviation de " Sixième commandement
" (Tu ne tueras point).
Lors d'un concert relativement récent devant avoir lieu
à Paris, Patrick décida de ne pas jouer en raison
de la trop grande présence de fascistes.
Tony Wakeford fonda lui " Sol Invictus ", c'est-à-dire
" Soleil invincible ", en référence au
trip païen des Nationalistes-Révolutionnaires..
Le groupe " In the nursery ", qui avait fait des concerts
avec DIJ, se distancera lui du groupe en nommant sa contribution
pour la compilation " from torture to conscience "
" Iskra " (l'étincelle, nom d'un journal bolchévik).
Par la suite, le groupe DIJ va être le fer de lance de
l'infiltration de la scène gothique par les fascistes.
Cette stratégie sera élaboré par la nouvelle
droite allemande, qui ira jusqu'à produite une revue gothique
d'excellente qualité graphique afin de gagner du monde
: " Sigill ".
Et avec DIJ, tout était à gagner : ne parle-t-il
pas dans la chanson " lifebooks " de Swastikas qui
sont " comme les hélices de la pensée "
? Et la chanson " Rose Clouds of Holocaust " ne dit-elle
pas : " nuages roses de l'holocauste, nuages roses de mouches,
nuages roses de mensonges amers, amers, amers " ?
Qui plus est DIJ sait être moderne, par exemple en soutenant
les fascistes croates, principalement la milice HOS, dont le
centre est d'ailleurs dans l'ancien club gay de la ville (le
Lickum Club). DIJ a soutenu la milice HOS contre le conservateur
Tudjman, qui en avait assez des revendications ouvertement fascistes
qui nuisaient à l'image internationale du pays. DIJ fit
également un CD dont les bénéfices allaient
à une clinique militaire, participa à une compilation
en l'honneur du sculpteur nazi Josef Thorak
Partant delà, une quantité industrielle de fascistes
vont se lancer dans l'electro-gothique, profitant du fait que
l'imagerie fasciste puisse y être mise ouvertement en avant.
Sur le label de DIJ on trouve ainsi le groupe " Fire + Ice
", formé principalement de Ian Read, qui avait également
chanté pour DIJ. Le nom du groupe vient du titre d'un
livre de Stephen Flowers (publié sous le nom de Dr Edred
Thorsonn), le fondateur de la " Guilde des Runes ".
Cette secte nazie fascinée par la magie noire fut fondée
dans le monument aux morts de la SS (à Wewelsburg)
Dans les mêmes relations, " Der Blutharsch "
se veut ouvertement nazi (mais dans sa version non " social
", puisque est appelé à la libération
de Pinochet), ainsi que " Blood Axis " ou encore "
NON " (prononcer " nonne), également nazi (le
chanteur est un ancien membre du groupe skinhead nazi semi-terroriste
" American Front " ; il se veut un " darwiniste
social ").
Ce mouvement a pris une énorme proportion en Allemagne,
où il y a plus de deux mille actions racistes par an,
et de très nombreuses " zones nationales libérées
". A Paris on est en loin, mais il est assez aisé
de voir des fascistes dans les soirées gothiques, jouant
sur le côté " runes ". Or, à part
DIJ et les quelques groupes cités (qui musicalement sont
plutôt industrielles), les groupes electro-gothiques n'ont
rien à voir avec le fascisme. Un texte de solidarité
avec les réfugiés, très clairement antifasciste
et anti-conservateur (" il est temps d'être actif
- plus jamais le fascisme ! "), a été mis
en avant en Allemagne, avec notamment Das Ich, Deine Lakaien,
Goethes Erben, Project Pitchfork, Plastic Noise experience, Trauma,
Love Like Blood
Nous, maoïstes, ne pensons pas que les artistes à
qui l'on doit passer commande. Mais ce n'est pas pour autant
que la diffusion de valeurs racistes, sexistes, capitalistes
soit acceptable. Le groupe Death In June a joué des années
sur l'ambiguïté, affirmant qu'il ne s'agissait que
d'expérimentations. Et beaucoup de gens les ont cru, disant
: le chanteur est homosexuel, il ne peut pas être nazi.
Un tel raisonnement est stupide : il suffit de voir les SA.
Il est vrai que les gens de DIJ ne sont pas des militantEs en
tant que tel (donc pas comme NON ou les autres groupes cités).
Leur attitude est intellectuelle, elle est exactement la même
que celle du philosophe allemand Heidegger, qui refusait d'employer
des mots trop " sales ". Mais elle est un soutien clair
au fascisme.
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